Nationalité belge et niveau d’éducation : quelles possibilités pour les adultes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme ?

Au CRILUX, les enjeux liés à l’inclusion et l’intégration des personnes étrangères sont régulièrement posés en tant qu’accès aux droits, en veillant à ce que les publics accompagnés puissent avoir les mêmes droits que tout un chacun, que ce soit en termes d’accès à la formation, d’accès à l’emploi, d’accès aux services publics, d’accès aux soins de santé, d’accès au logement décent, …

Parmi ces publics étrangers et d’origine étrangère, certains doivent faire face à des difficultés et des freins bien plus prégnants encore que d’autres : en l’occurrence, ici, les personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme qui ne possèdent pas les savoirs fondamentaux (niveau CEB réussi en Belgique) dans leur langue maternelle et scolaire. Le terme réducteur de « personnes analphabètes » – discriminant et discriminatoire à bien des égards – leur est souvent appliqué, à tort. Car les réalités qui sont les leurs sont souvent bien plus complexes et diverses et recouvrent des situations qui vont de l’absence totale de scolarisation dans le pays d’origine, à la scolarisation partielle, en passant par des situations d’apprentissages interrompus et/ou incomplets, qui nécessitent une approche pédagogique spécifique. La nuance est donc nécessaire, et c’est avec cette nécessité de mise en perspective que nous utiliserons le vocable de « personnes analphabètes » tel qu’il apparait dans les textes légaux et de référence mentionnés ci-dessous.

Les modifications du Code de la nationalité belge et leur impact sur les personnes dites « analphabètes »

Depuis 2013, le Code de la nationalité belge a subi des modifications majeures visant à rendre l’acquisition de la nationalité plus neutre vis-à-vis de l’immigration. Le but de ces changements était de mettre en place des critères objectifs pour tous les requérants, en instaurant un système basé sur des preuves documentaires concernant la participation économique, l’intégration sociale et la connaissance de la langue.

Les différentes procédures pour obtenir la nationalité

Plusieurs voies existent pour obtenir la nationalité belge. Bien que certaines conditions soient communes à presque toutes les procédures – comme la maîtrise d’une des trois langues nationales – certaines dérogations existent. Par exemple, les personnes nées en Belgique, les personnes handicapées, les invalides ou celles ayant atteint l’âge de la pension, ainsi que les demandes de naturalisation pour mérites exceptionnels ou apatridie, ne sont pas soumises à ces exigences linguistiques strictes.

Historiquement, un niveau global A2 du cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) – soit la capacité à se débrouiller dans une conversation basique –  était jugé suffisant pour prouver la connaissance linguistique. Cependant, en 2018, une modification du Code wallon de l’Action Sociale et de la Santé (CWASS) sur le Parcours d’intégration a ajouté l’obligation de maîtriser les quatre compétences langagières (compréhension orale, compréhension écrite, expression orale, expression écrite), ce qui a rendu les exigences plus rigoureuses, notamment pour les personnes peu ou pas scolarisées dans leur pays d’origine.

Une exigence linguistique jugée disproportionnée

En 2021, les parquets de Wallonie se sont alignés sur cette nouvelle interprétation, demandant aux candidats à la nationalité un niveau A2 dans les quatre compétences. Cela a eu pour conséquence d’exclure de nombreux candidats, en particulier les personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme qui, malgré une bonne maîtrise de l’oral, ne pouvaient prouver leurs compétences écrites lors de l’introduction de leur demande de nationalité.

Cette situation a pris un tournant en 2023 lorsque la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt (n°53/2023) jugeant que l’exigence de compétences écrites imposée par le Code de la nationalité était disproportionnée pour les personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme. La Cour a souligné que le niveau A2 était difficilement atteignable pour ces personnes, même après avoir suivi les formations disponibles (400 heures d’apprentissage de la langue prévues dans le cadre du Parcours d’Intégration)

Adaptation du Code de la nationalité : vers une plus grande inclusion

Suite à cet arrêt, le Code de la nationalité belge a été modifié. Depuis le 27 mars 2024, la définition des personnes « analphabètes » a été intégrée à l’article 1er du Code comme suit :

  • Pour une personne « analphabète », seule la preuve d’une maîtrise orale correspondant au niveau A2 est désormais requise.
  • La personne « analphabète » est définie comme quelqu’un ayant les compétences orales requises, mais qui ne peut acquérir les compétences écrites nécessaires, même après avoir suivi les formations proposées par l’autorité compétente.

Une autre disposition notable a également été modifiée : les personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme ne sont plus tenues d’écrire une phrase type pour faire leur déclaration. L’officier de l’état civil pourra transcrire cette phrase sur la base d’une déclaration orale, facilitant ainsi le processus.

Le monde associatif espère qu’une solution durable sera rapidement mise en place, avec une clarification des organismes compétents pour délivrer ces attestations.

Problèmes restants en Fédération Wallonie Bruxelles

En Flandre, les autorités ont rapidement réagi en désignant le LIGO, centre spécialisé dans l’alphabétisation, comme l’organisme habilité à délivrer les attestations nécessaires prouvant l’incapacité à acquérir les compétences écrites. En Fédération Wallonie Bruxelles, cependant, il n’y a toujours pas d’accord clair sur les organismes compétents pour délivrer ces attestations, ce qui bloque de nombreuses personnes dans leur démarche d’acquisition de la nationalité.

Face à cette situation, les associations œuvrant pour l’alphabétisation, telles que le Mouvement Lire et Écrire, ont pris les devants. Elles ont proposé des attestations adaptées à leur public, en conformité avec les exigences législatives. Un premier dossier a été déposé en octobre 2024 en Province de Luxembourg, et trois autres dossiers similaires dans l’arrondissement de Verviers, ont déjà abouti positivement.

Vers une solution durable

Le monde associatif espère qu’une solution durable sera rapidement mise en place, avec une clarification des organismes compétents pour délivrer ces attestations. Si les Régionales du Mouvement Lire et Écrire semblent naturellement désignées pour délivrer des attestations à leurs publics, d’autres structures wallonnes pourraient également être habilitées à délivrer ces attestations, permettant ainsi à un plus grand nombre de personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme d’accéder à la nationalité belge sans être pénalisées par des exigences écrites impossibles à satisfaire lors de l’introduction de leur demande.

En attendant, les associations continuent de plaider pour que les personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme puissent prouver leurs compétences orales sans être soumises à des exigences disproportionnées, conformément à l’arrêt de la Cour constitutionnelle.