Ce matin, comme cela a été trop souvent le cas ces derniers mois, un employeur de la province a contacté le CRILUX pour l’informer que l’un de ses travailleurs, pourtant en CDI depuis un certain temps, venait de recevoir un ordre de quitter le territoire. Cela signifie, dès lors, perte du permis de travail et impossibilité de poursuivre la relation contractuelle.
A l’heure où la Belgique et la Wallonie se font régulièrement taper sur les doigts pour leur faible taux de mise à l’emploi des personnes étrangères, comment de telles situations peuvent-elles encore survenir ?
L’employeur témoigne : « j’ai investi dans la formation continuée ; j’ai soutenu le passage du permis de conduire ; cette personne est un employé en or, et maintenant, non seulement c’est perdu, mais en plus cela met à mal le fonctionnement de mon entreprise ! Je suis dégoûté ! ».
Déterminer les conditions d’accès à la protection internationale en Belgique (statut de réfugié, protection subsidiaire ou protection temporaire) sur base de critères humains et respectueux des trajectoires de vie des personnes, d’accord.
Encadrer l’accès au marché du travail pour réfléchir à la meilleure complémentarité entre le marché national et l’apport de la main d’œuvre étrangère, pas de souci.
Mais que fait-on de toutes ces femmes et tous ces hommes qui sont présents sur le territoire, qui ont, qui ont eu, voire même qui n’ont jamais eu de titre de séjour et qui participent pourtant pleinement à la vie économique du pays ?
Conditionner le séjour au travail, c’est une arme à double tranchant. Cela permettrait à des personnes qui perdent le séjour de pouvoir continuer à résider légalement en Belgique, d’une part ; mais, d’autre part, cela contribuerait à stigmatiser et affaiblir encore davantage les populations les plus vulnérables qui sont plus éloignées de l’emploi, au risque de nourrir un processus d’immigration économique choisie.
Face à cette situation, la possibilité d’action des travailleurs sociaux est limitée. Ils savent qu’une des seules réponses qu’ils pourront apporter à cet employeur, c’est de mettre la situation en visibilité, pour informer, pour sensibiliser, pour mobiliser aussi, pour s’assurer qu’en termes de procédures tout a été fait. Souvent, ils seront démunis. Mais ils ne baisseront pas les bras, car ils savent quels leviers activer :
- Une politique de validation des compétences et de l’expérience acquise qui permette plus facilement de faire valoir ses talents ;
- Une procédure d’équivalence des diplômes revue qui, tout en étant exigeante sur la qualité des formations à faire valoir, facilite l’accès à toute une série de métiers (entre autres, les métiers des soins de santé) ;
- Une politique d’accès au permis de conduire où l’on puisse dissocier le volet « maîtrise de la conduite et du code de la route » du volet « connaissance de la langue » (ce n’est pas parce qu’on ne parle pas couramment le français qu’on est incapable de conduire) ;
- Une offre de formation diversifiée qui passe, selon les cas, par de l’enseignement de plein exercice, par de l’alternance, par des apprentissages concomitants (langue et métier), par des stages …
- Un travail auprès des employeurs pour promouvoir les politiques de diversité ;
- Une attention à la fracture numérique quand le « tout au digital » prévaut dans de nombreuses procédures d’accès à l’emploi ;
- Surtout, une concertation entre le niveau fédéral et le régional pour faire évoluer le lien séjour (compétence fédérale) – travail (compétence régionale) vers davantage de prise en compte des ressources et des talents qui sont sur le territoire et qui ne demandent qu’à participer à la vie économique.
Il y a là une forme de paradoxe : depuis quelques années, les politiques d’intégration des personnes étrangères mises en œuvre par les Pouvoirs publics portent une vision socio-économique qui considère que la mise à l’emploi constitue un objectif ultime (encore plus si c’est dans un métier en pénurie). Cela peut se discuter. D’un autre côté, ces mêmes pouvoirs publics portent la responsabilité de la complexité des procédures pour l’accès au marché du travail.
Il est temps que cela change. Le CRILUX et ses partenaires feront tout pour, pour que demain chacun et chacune, quelle que soit son origine, puisse participer à la vie économique, et par ricochet, la vie sociale, culturelle et politique de son lieu de vie.





