Depuis les élections de 2024 pour les différents niveaux de pouvoir, l’eau a coulé sous les ponts. Certaines majorités sont désormais bien en place (communes, provinces, région), d’autres se font encore et toujours désirer (fédéral). Comme c’est le cas dans de nombreux secteurs, le CRILUX suit de près les actualités liées à la récente Déclaration de politique régionale, au moment même où le paysage de l’intégration s’apprête à évoluer en Région wallonne. Une belle occasion de faire le point sur ce qui s’annonce pour les prochains mois et les prochaines années.
Une déclaration de politique régionale (DPR) qui propose de « réussir l’intégration » :
Ce qui transparait directement dans cette déclaration, c’est un glissement de plus en plus marqué vers des logiques de résultat alors que le modèle actuel repose encore sur une obligation de moyen : actuellement, le Parcours d’Intégration, obligatoire pour une certaine catégorie de personnes étrangères (pour faire simple, ressortissants hors UE présents en Belgique depuis moins de trois ans et avec un titre de séjour de plus de trois mois, avec certaines exceptions et exemptions), comporte différents volets tels que l’apprentissage de la langue, les cours de citoyenneté ou encore un accompagnement dans des démarches d’insertion socioprofessionnelle. L’obligation porte sur la participation aux différents modules. A l’instar de ce qui se fait – ou commence à se faire – dans certains pays limitrophes, le nouveau gouvernement MR/Engagés projette de mettre en place des tests sur les volets « langue » et « citoyenneté », en même temps qu’un renforcement des sanctions en cas de non-participation au Parcours. Cette approche axée sur l’activation des publics n’est pas neuve, mais elle peut néanmoins être questionnée à plusieurs titres :
- Mettre encore et toujours l’accent sur la sanction, c’est laisser croire que sans cela le public n’est pas disposé à faire le nécessaire pour que ce trajet d’intégration se passe dans les meilleures conditions possibles. Or, la réalité est plus nuancée, car le public est massivement demandeur de ce type d’accompagnement. Pour ne citer qu’un chiffre, entre 2019 et 2022, seules 13 personnes ont été effectivement sanctionnées par l’amende administrative prévue[1]. Cela montre bien qu’il y a adhésion au dispositif.
- Contraindre le public par des tests, des amendes, voire des frais d’inscription aux modules, cela ne garantit en rien l’adhésion aux contenus proposés. Pour l’apprentissage de la langue, passe encore, mais pour ces cours d’intégration civique ? Est-ce que le test réglera tout ? N’y a-t-il pas d’autres manières de faire ? N’y a-t-il pas d’autres outils ou d’autres approches pédagogiques à développer pour aider les publics à saisir le fonctionnement de la société d’accueil ? Là aussi, les pays limitrophes proposent des initiatives intéressantes dont la Wallonie pourrait s’inspirer pour faire évoluer ses dispositifs[2].
A côté de ces éléments, soulignons quand même la volonté affichée, dans cette DPR, de s’attaquer à des contenus qui posent soucis depuis longtemps, tels que :
- L’amélioration de la reconnaissance des diplômes et de la valorisation des compétences acquises à l’étranger ;
- La question des accès aux permis de travail ;
- La question de la mobilité vers les lieux de formation.
Il est fort à parier que ces différentes pistes nécessitent une modification du cadre réglementaire (Code wallon de l’Action sociale et de la Santé). Cela constituerait alors la cinquième modification décrétale en un peu plus de dix ans, sur les questions toujours sensibles d’intégration des personnes étrangères.
A plus court terme, une réforme à implémenter :
En attendant ces évolutions probables, l’année 2025 marque l’entrée en vigueur de la réforme du secteur de l’intégration wallon. Tout n’est pas encore opérationnel, et une période transitoire sera nécessaire, mais les grandes orientations suivantes peuvent déjà être mises en avant :
- Arrêter le financement facultatif d’actions qui ont vocation à être pérennes en promouvant les mécanismes d’agrément. Le secteur repose actuellement sur des appels à projets bisannuels et des opérateurs agréés. Parmi ces opérateurs agréés, les 8 Centres Régionaux d’Intégration, le Setis wallon et un peu plus de 80 Initiatives locales d’intégration actives sur différents contenus (apprentissage de la langue, citoyenneté, permanences sociales ou juridiques). Pour les appels à projets, un peu moins de 150 Initiatives locales d’intégration (actives sur les mêmes axes, plus l’axe « interculturalité » qui ne peut actuellement faire l’objet d’un agrément), les acteurs « MENA » qui accompagnement les Mineurs Etrangers Non Accompagnés qui ont atteint l’âge de la majorité (moins de 10), les services qui proposent un accompagnement spécifique sur le volet « ethnopsy » (moins de 10). Jusqu’au 1er janvier 2025, les pouvoirs locaux ne pouvaient prétendre à l’agrément. Tout cela va désormais changer : la disparition des appels à projets rendra incontournable la procédure d’agrément, qui sera désormais accessible également pour les actions d’interculturalité ainsi que l’accompagnement des ex-MENA et ouverte aux pouvoirs locaux. Les acteurs « ethno psy » seront quant à eux renvoyés vers l’AVIQ. En d’autres mots, cela signifie que, à terme, toute la politique d’intégration ne s’appuiera plus que sur des opérateurs agréés. La démarche a des avantages et des inconvénients : des avantages, car elle assurera plus de stabilité pour les opérateurs qui pourront se projeter dans des actions à plus long terme ; des inconvénients, car il n’est pas du tout certain que l’ensemble des acteurs puisse basculer vers l’agrément, ce qui appauvrirait l’offre de contenus proposés aux publics. Il est à noter également que la concertation sectorielle s’est opposée aux logiques de programmation qui limiteraient l’offre par territoire sur base de critères sortis ex nihilo et qui ne correspondraient en rien aux besoins locaux. Mais il y a tout intérêt à objectiver rapidement le déploiement de l’offre pour éviter au maximum la logique du « premier arrivé, premier servi » dans les demandes d’agrément.
- Revoir les mécanismes de concertation sectorielle. Cette objectivation des besoins permettant un dimensionnement juste de l’offre de services constituera à coup sûr un des premiers enjeux à traiter par les organes de concertation qui vont être remaniés, avec disparation des mécanismes actuels pour voir apparaitre deux nouveaux organes : un Comité de Concertation regroupant tous les acteurs financés par les politiques d’intégration wallonnes, d’une part ; un Observatoire de l’Intégration, d’autre part, qui aura un rôle d’appui, de consultation, de prospective et d’avis pour l’ensemble du secteur et des représentants politiques.
- Poursuivre la professionnalisation du secteur tout en garantissant un cadre suffisamment souple : cela passe notamment par une redéfinition des profils des formateurs, des exigences de formation continuées revues, des indications sur les volumes horaires et contenus des actions à promouvoir, …
Quelles conséquences pour la province de Luxembourg ?
Quel sera l’impact pour notre province face à ces évolutions à court terme ?
D’abord, il faudrait éviter autant que faire se peut la concentration d’un trop grand nombre de volume d’action aux mains d’un nombre restreint d’opérateurs. Si la logique de guichet unique (proposant l’entièreté du panel des actions) peut être pertinente dans des milieux urbains facilement accessibles, il en va autrement dans des zones rurales où les populations sont plus éclatées sur le territoire. Cet éclatement, renforcé par les difficultés de mobilité sur le territoire, plaide en faveur d’une offre de proximité qui puisse se déployer directement là où se trouve le public. Une offre de proximité qui, dans le meilleur des cas, doit pouvoir rester diversifiée et varier les approches pédagogiques, pour apporter des réponses pertinentes aux besoins diversifiés exprimés par les publics. Sans quoi, nous assisterons inévitablement à un appauvrissement de l’offre qui constituerait une limite supplémentaire à la possibilité d’ancrage durable sur le territoire de la province d’un public qui a pourtant beaucoup à apporter en termes de participation sociale, économique et culturelle.
[1] Le parcours d’intégration des personnes étrangères organisé par la Région wallonne. Mise en œuvre et financement, Rapport de la Cour des comptes transmis au Parlement wallon, Bruxelles, octobre 2022, p. 14
[2] Conférence du point de contact français de l’EMN, le 5 décembre 2024.





